Littérature critique. Réceptions d'ouvrage. Orientation dans le P.L.F.
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Un Héros de Félicité Herzog
Automne
2012: parution du livre de la fille de Maurice Herzog, vainqueur de
"l'Annapurna premier 8000" dont le nom éclipsa injustement en son temps
celui du guide Louis Lachenal. L'annonce d'une critique de la version
officielle de l'ascension par la fille même du "héros" nous sortit
brutalement de l'hibernation précoce. Rappelons à nos étudiants que
nous devons notre
passion
démystificatrice au mystère glacial qui entoura l'épopée de 1950,
aventure héroïque dont le récit contrôlé, censuré, fut un chant
patriotique fédérateur d'après-guerre, repris en choeur dans les écoles
républicaines. Le seul récit autorisé fut celui de
Maurice
Herzog
("Annapurna premier 8000"), version confirmée dans une biographie de
Lachenal rédigée par Gérard Herzog avec censure du journal de Lachenal
("Carnets du Vertige", première version).
En fin de siècle, des voix discordantes dont celle de Rébuffat (décédé
en 85), la publication de la
version originale des "Carnets" de Lachenal et "Annapurna, une
affaire de cordée", percutante contre-enquête de David Roberts,
tentèrent de réhabiliter Lachenal. Le
mythe de l'Annapurna nous apparut alors comme l'archétype de
"l'Affaire Alpine", mêlant drame humain, conflit social et contrainte
historique. Tandis que l'aventure verticale perdait son statut
d'exception, son éclat douteux de pureté morale, révélant en noir
contre-jour sa nature tristement humaine, nous fîmes de la critique du
récit alpin, notre spécialité.
Bref, notre passion critique doublé du
souci
d'éclaircir mieux encore l'Affaire de l'Annapurna nous propulsa dans la
première librairie pour obtenir en urgence le
livre de Félicité Herzog. Ce fut une chance, un
bouleversement. Déjouant notre obsession de la chasse au
notable et au
nanti, notre propension atavique
à la dérision, ce livre tout simplement nous toucha, chose
stupéfiante, découpant notre armure de granite, nous faisant vivre l'enfance de Félicité Herzog, tremblant à lire cette violence
rapportée avec force et prudence. Nous bûmes cette écriture au scalpel, en souci de justesse, entendîmes un
souffle, une voix. Et nous nous inclinons.
Certains
critiques du Web, des journalistes de radio (RTL par
exemple) ont survolé un peu vite la force de
l'écriture, évacuant la douleur, diminuant l'air de rien la fille du
Héros, discrètement condescendant. Un alpiniste instruit soulignait
l'absence de
preuve apportée à l'hypothèse défendue de la non-ascension
de l'Annapurna, pacte pour faire accepter à Herzog la descente,
l'autre rappelait qu'une fille est mal placée pour parler
du père. Cette attention centrée sur la question de
l'Annapurna nous semblait soudain redoubler la
violence vécue: non-reconnaissance des douleurs et dangers vécus par
les enfants de Maurice Herzog. Attaquer la
statue du héros reste dangereuse, on touche aux fondations, à
l'idéal... Nous saluons ce livre, ce qu'il transmet, histoire d'une
famille, d'un frère, d'une soeur, dont la
souffrance ne put être entendue en son temps. Pour
l'auteure, nous suspendons, temporairement, nos tics moqueurs et
enfantins.
Alain Chellous en accord avec
Noëlle Arrity (pour une fois)
Un héros », de Félicité Herzog, éd. Grasset, 302 pages
A signaler une critique sobre à laquelle nous applaudissons: chronique sur France Culture de Catherine Eliacheff
On trouvera ici l'avis d'Yves Ballu,
auteur apprécié d'histoire alpine critique ("Les alpinistes"), qui a
rencontré Félicité Herzog et compare l'hypothèse de Félicité Herzog au
scénario de son dernier roman ("La conjuration du Namche Barwa", sans
s'attarder sur ce qui nous a touché...
Présentation du livre par l'auteur lorsde l'émission La grande librairie 27/09/2012 sur France 5, François Busnel Félicité Herzog en présence de Boris Cyrulnik
Précision / Conflit d'intérêt:
nous
ne disposons d'aucun relais, ni aide financière des éditions Grasset
chez qui nous n'avons publié ni thèse ni ouvrage de synthèse, pas même
un
polycopié...
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Notes & Courses
Editions Guérin
Livre offert gratuitement pour toute commande supérieure à 56 euros (valable encore à Noël 2014)
"EN MONTAGNE, SEULE L'EXACTITUDE DU RECIT PEUT RENDRE COMPTE DE LA PERFORMANCE DES ACTES."*
C'est
par cet aphorisme lumineux affiché discrétement en première de
couverture que débute le dernier livre des Editions Guérin, véritable
chef d'oeuvre dont la sobriété d'écriture, conforme à l'éthique
exigeante de l'éditeur, est poussée ici au paroxysme. Après avoir
éliminé sans pitié
adjectifs, articles ou adverbes
superflus, noms,
verbes et auxiliaires, conjonctions, prépositions, compléments
circonstanciels inutiles sans oublier les propositions
subordonnées compliquant le propos, après nous avoir ainsi
débarrassé du fatras de l'écrivain moderne incapable de
se
taire ou d'user d'une gomme,
l'éditeur est allé au-delà de ses limites, effaçant le moindre signe évoquant
l'écriture, pagination comprise.
Le résultat de ce travail exemplaire
est un magnifique voyage littéraire: aucune
contrainte textuelle, une esthétique virginale évitant le coûteux
recours à l'encre de l'imprimeur et un supense intense jusqu'à la
dernière page où, soudain, la Vérité Alpine surgit en vrombissant en
pierre philosophale chutant de la vire supérieure. Car,
croyez-le ou non, cette page finale est en tout point identique à la
première: l'épilogue génial de ce récit en constitue le
prologue... Ce vide textuel
idéal qu'expirent ces lignes grisées et timides de cahier d'écolier
nous ramène au point de départ, bouclant ainsi magistralement la boucle
sans fin d'un texte sans texte qu'on relit encore et encore, sans
jamais rien trouver
de plus. Situation qui se trouve être justement celle de l'alpiniste,
habitué à répéter jour après
jour un parcours immuable, montée, descente et retour au bercail,
activité absurde et fatigante qu'on ressent ici de page en page, dans
la recherche vaine des mots disparus.
Au total, Notes & courses
présente un avantage pratique radical sur tout autre livre de montagne: le
laisser en plein vent au risque de perdre la page est sans importance.
Ce récit qui transperce l'univers comme neutrino qu'aucn obstacle ne contrarie, n'ayant ni but ni fin, sera mis
dans la poche marteau du pantalon d'escalade sans crainte d'être perdu
puisque rien ne s'y trouve, ni d'être trouvé puisque
rien n'aura été perdu.
Ainsi est respectée la sentence initiale: l'oeuvre touche à
l'exactitude idéale pour rendre compte de la performance de l'acte
littéraire absolu. Encore Bravo!
Noëlle Arrity
PS: Le seul reproche qu'on
puisse faire s'adresse au fournisseur de
papier qui, ayant soldé son stock de cahiers de maternelle
aux lignes
horizontales, est responsable d'impuretés malvenues pour un tel
ouvrage. Celles-ci sont susceptibles d'inciter les lecteurs naïfs
(ou peu au fait des exigences de la littérature moderne) à écrire
eux-mêmes ce qu'ils ne peuvent lire. Mais on oubliera vite cette
réserve à notre compliment en songeant au coût
de l'ouvrage.
*Citation de Michel Guérin
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Directrice: Noëlle
Arrity.
Enseignants-Chercheurs: Gaétan Bufforts, Aurore Chemigez, Elie
Cuvidens, Marie Desnones
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