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Annales des Topo-Guides de l'USDMHD - Années 2000-2020

 

 
Dôme du Grand Salon

Intégrale de l’Arête du Bonheur

 
Voie certifiée par le Département des Exploits et le Comité d’Excellence de l’Université. Visa n° 2-01-2012

 Ouverture le 02/01/12 par Gérard Nick-Pelit accompagné de son double, Narcisse Essicran.

 

 Historique :

 
Après avoir réalisé le terrifiant Couloir du Bureau[1], Gérard Nick-Pelit, lauréat du « Piolet de chocolat 2011 », décréta que, rassasié d’exploits, il n’ouvrirait jamais plus de nouvelle voie. Epuisé physiquement et mentalement par sa « danse avec la mort » au Pic du Bureau, il était devenu incapable de diriger la prestigieuse Zone des Exploits de l’Université et on le vit à plusieurs reprises traîner dans les couloirs, visage émacié, œil noir et teint gris. Scandalisé par cet exemple affligeant, ses collègues alertèrent le conseil de discipline qui le convoqua aussitôt pour mise à pied mais, fuyant l’humiliation annoncée, Gérard se fit porter pâle, arguant d’un burn-out carabiné. A cet acte de lâcheté, l’université répliqua le 31 décembre au soir après le champagne, en ordonnant une expertise psychiatrique. Décision précipitée qui déclencha instantanément une campagne de rumeurs hostiles sur le net, prédisant l’effondrement imminent de l’Université, interprétant la suspicion du conseil scientifique à l’égard de Gérard comme le prélude au Waterloo de l’université, au Watergate du Haut Dauphiné.

Gérard Nick-Pelit découvrit la catastrophe aux premières heures de 2012, seul face à l’écran de son PC, un verre de génépi à la bouche. Il songea que Noëlle Arrity elle-même ne pourrait récupérer la situation, qu’on touchait à la fin de l’histoire de l’Université et ceci à peine un trimestre après l’ouverture. Souillure immonde à laquelle le nom de Nick-Pelit serait associé à jamais. Ainsi pensait Gérard sur son lit, rêvant au temps de gloire où il franchissait un à un les obstacles du Couloir du Bureau avec un moral de nickel-chrome-molybdène. Il songea aux glorieux ancêtres (oubliant un peu vite un grand nombre de ratés qui avaient autrefois largement dévalué le nom de Nick-Pelit) et il sombra dans une mélancolie dauphinoise typique. C’est alors que, soudain et contre toute attente, née de sa noire méditation, surgit dans le ciel bleu nuit de l’Oisans la foudre thérapeutique, un véritable miracle : Gérard terrassa brutalement son burn-out, jeta antidépresseurs, anxiolytiques et neuroleptiques aux chiottes, se leva, fit la roue sur une main, déchira son billet pour Lourdes certain d’être guéri et eut la vision étincelante de ce qui l’attendait. Il sut comme deux et deux font cinq qu’il allait aborder le clou de sa carrière, réaliser un exploit fabuleux, une aventure aussi lumineuse que le Couloir du Bureau fut obscur.

Ouvrons une parenthèse. L’inspiration ne naît jamais de nulle part comme le professent nombre de créateurs soucieux d’afficher leur modestie. Avouons, quitte à briser le charme, que cette lumière qui saisit Gérard au premier jour de l’année découlait d’une charge de mails agressifs qui s’étaient déversés sur la Zone des Exploits après le Couloir du Bureau. Les enseignants avaient mal vécu sa prouesse, lui reprochant pêle-mêle ses tendances suicidaires et cyniques, son absence de compassion pour ses camarades de cordée souffreteux et, piton sur le gâteau, une indifférence hautaine pour ses lecteurs. De toute évidence, Gérard se fichait de ses étudiants et collègues, insuffisance pédagogique inacceptable dans une université donnant la priorité au travail collectif. On le sommait de changer radicalement, quitter le couloir de la mort pour emprunter un itinéraire ensoleillé célébrant vie et bonheur, affronter des obstacles purement sportifs plutôt que tirer profit d’une chance imméritée qui ne saurait durer. Bref, on invoquait la nécessité en période de récession économique de promouvoir des valeurs positives, seules à même de redonner espoir aux jeunesses Dauphinoises. Tant que Gérard avait été sous le seuil fatidique de 1,5 g d’alcool par litre de sang, il s’était gaussé de ces prières dignes d’un alpinisme de midinette mais quand son état hépatique aggravé lui permit d’accéder à la lumière, Gérard envisagea ce projet rédempteur. Il conçut une escalade qui serait un hymne à la vie. Un tel projet était une gageure en Oisans, pays de roches pourries, déceptions et souffrances permanentes, mais Gérard, pionnier devant l’éternel, héro sans a priori, visait un seul et unique objectif : franchir les limites du concevable. Lisant cette introduction interminable, vous vous demandez si vous connaîtrez un jour la nature exacte du projet qui galvanisa Gérard à l’instant éblouissant où sa tête heurta le haut du lit. Vous n’y croyez plus et regardez nerveusement votre montre.

Vous avez tort ! Un topo n’a pas pour fonction d’égarer l’utilisateur, non. Concis, il évite toute variante inutile, répond sans dévier à la question centrale que vous n’osez poser, pris de cette timidité charmante mais méprisable qui vous caractérise. Un peu d’audace, diantre ! Vous voulez la connaître, cette voie dont Gérard reçut l’image prémonitoire en pleine intoxication biliaire, enzymes intracellulaires asphyxiées ? Vous voulez la réponse ? Lisez, écoutez ! Cette image de 10 mégaoctets qui subjugua notre héro représentait la plus belle escalade du monde. Une escalade située, comme par un fait exprès, sur la plus grandiose des cimes du Dauphiné. Ce n’était pas le Pilier de l’Extase Permanente ni le Socle des Certitudes Satisfaites. Pas plus la Cathédrale de la Bourse que l’Aiguille des Traders par la voie de la Bulle Explosive. Rien de tout ça, beaucoup mieux que ça. Car, Dieu est grand, c’était ELLE ! Oui, l’Arête du Bonheur au Dôme du Grand Salon !

Manque de suspense ? Vous connaissiez la réponse dès le début ? Vous aviez lu le titre, gros malin. Mais sachez donc, au lieu de ricaner stupidement, qu’un topo ne vise pas la surprise. Non, un topo confirme, rassure, précise, détruit l’incertitude. Passons maintenant à la description de l’itinéraire.

 

Note de l’évaluateur-sécurité :

      Voie pour optimistes. Démarches à réaliser avant l’attaque :

-  Relire la vie de Bouddha (version pour enfant).

- Valider Licence ès sophrologie, Gymnastique Douce, PNL et Master Optimisation Fiscale.

- Remise à niveau en Affirmation de soi, Gestion du Stress, Vision Positive, Techniques du Moi, du Toi et du Soi, Thérapie d'Acceptation et d'Engagement (ACT).

-  Expérience saut à l’élastique indispensable.

-  Tenue confortable (genre Lacoste). Rollex et bonne mine obligatoire.

 

Note technique

Appréciation générale : ♠♠♠♠♠ Voie magnifique, ce qu’on fait de mieux. A couper le souffle.

Difficulté technique et engagement : haut niveau mais ambiance excellente, sécurité maximale. Bref, on rigole tout le temps. De plus, l’engagement est nul. On peut arrêter à tout moment. Néanmoins, un tel choix serait déplacé et mal vu dans une entreprise si positive. Réfléchissez. Renoncer n’est pas une option réaliste, une fois dans la voie, moral au maxi, on veut plus descendre (ce qui est l’objectif recherché).

Equipement. No souçaïe, pas de bile. Matos inutile. Apportez baudard et chaussons, rien de plus. Corde et assureurs en place mais personne pour observer vos hésitations, perturber votre récit de retour au club. Des commentaires dithyrambiques seront diffusés en temps réels sur le web.

Conditions. Excellentes en toutes saisons : été chaud sans excès, hiver logiquement plus froid mais il suffira d’enlever sa fourrure polaire pour que l’air s’adoucisse : personne n’a jamais gelé au Salon et ça ne risque pas d’arriver : il y a du vin chaud aux relais.

Obstacles particuliers. Tout grimpeur se dépassera sans effort. Les difficultés seront franchies avec aisance, donnant confiance et satisfaction aux plus trouillards, les mauvais se joueront des pires surplombs, à l’aise comme jamais.

 

Description (Approche et itinéraire) 

Accès

Suivre la direction du Salon. Visibilité excellente, pas d’embouteillage, radio  « rires et chansons ». Ni brouillard, ni verglas même au creux de l’hiver, les hivers n’ont plus de creux dans le secteur du Salon. On peut boire ce on veut au bar du Salon, pas de contrôle d’alcoolémie.

On arrive déjà au Parking. C’était super rapide. Quel silence ! Pas d’autre grimpeur, chouette ! Juste les amis venus vous applaudir. Vous souriez, plus fort que vous, longtemps que ça ne vous était pas arrivé ! Combien de temps ? Chasse cette pensée, vite. Dis-toi que tu n’as jamais pensé ça. Car tu es concentré sur le présent. Et le futur qui s’annonce MERVEILLEUX.

Ben oui, je te tutoies ! Ici, on est tous frères.

Inspire. Sens cette puissance de taureau, ce sang bouillonnant en toi ! Maintenant regarde devant toi. Tu ne vois rien ? Bon Dieu, t’es bigleux, faut tout te dire ! Là, devant toi, cette silhouette élancée dans l’azur émergeant d’une ouate effilochée, cette explosion de lumière, ces milliers de watts dans la ouate (je répète : watts dans la ouate, je répète …), oui, c’est quuoooiii ? Nom de Dieu, oui ! Le DÔME DU GRAND SALON ! Banco, super banco ! Majestueux sans être écrasant, Il t’invite gentiment, déroulant pour toi son Arête du Bonheur, une ligne inoubliable, mélange harmonieux de courbes féminines et ressauts audacieux.

Prends ton sac.

Maintenant. S’il te plaît, madame, monsieur, prends ton sac.

Heu. Je te demande simplement, gracieusement, sans m’énerver, je suis parfaitement calme, de PRENDRE ton sac. Oui, je t’ai déjà dit, je te tutoie, j’en ai le droit, me regarde pas comme ça.

Stoppe la contemplation. Il y a un temps à tout. Oui, Madame, Monsieur, je t’ai parlé. Tu es absorbé par le spectacle, c’est beau, oui, je sais, Madame, Monsieur. Je sais, mais FAUT prendre ton SAC à merde sinon l’arête du Bonheur va te filer entre les doigts. J’te dis pas la déception, un truc que tu ne te pardonneras jamais. Le drame absolu. L’occasion ne se reproduira plus, tu ressasseras des regrets éternels et je parle pas des moqueries des copains et, et… le pire, la haine de toi. Ouais. Alors, faut te secouer bordel et que ça saute, je le dirai pas deux fois. PRENDS TON SAC CONNARD ET BOUGE TON GROS CUL, OK ?[2]

 

Approche

Sac léger. Incroyablement Sentiment de plénitude. Tu n’as aucun doute sur l’étrange légèreté du sac, sachant qu’il ne te manque rien pour la bonne raison qu’il n’y a besoin de rien à l’Arête du Bonheur, même la gourde est inutile : sources à tous les relais. Sac au dos, tu marches droit comme un I. Belle énergie, belle allure. Jette un coup d’œil sur ton ombre : superbe.

Bon sentier. Ni boue, ni gravier, jamais vu ça auparavant. STOP. Ne pense pas au passé, deuxième fois que je t’y prends. Bon, c’est rien, il ne s’est rien passé, tu n’y penseras plus, promis ? Désormais, tu n’as qu’un seul et unique centre d’intérêt, je répète : le présent. LE PRESENT. Et le futur immédiat.

Bon. Tu réalises que tu y es. Vraiment. C’est LA réalité. Oui, LE grand jour, la Tête du Salon. Montée sous les mélèzes filtrant les UV d’une magnifique journée d’été, automne, hiver ou printemps[3], tu y es. Faut que je le répète encore ? Tu es au pied de la Tête du Salon ! Montée rapide, hein ? Quelle frite, cette pêche que tu as ! Pas trébuché une fois, à peine transpiré, et sans l’odeur infecte qui t’accompagnes toujours au moindre effort, fini tout ça, n’y pense plus, tu es tout entier à ton affaire aujourd’hui. Pas comme ces vieux titubant, soupirant, qu’on dépasse avec satisfaction et mépris. Non, tu ne penses à rien, il n’y a que toi, tes amis qui te félicitent, t’admirent et, autant le dire simplement, t’aiment comme il faut, sans te casser les pieds, sans te demander tes vivres de course par exemple. D’ailleurs, tes amis ont leurs propres vivres de courses et ils t’en offrent, eux, parce qu’ils sont tes amis. Et cette nourriture tombe bien parce que, justement, tu n’as rien pris pour pas charger le sac. Pourquoi rien pris ? Tête de mule, c’est simple : tu es à l’Arête du Bonheur !


Itinéraire

Tu as le choix. Ne t’inquiète pas inutilement, ce choix va se faire tout seul. A la Tête du Salon, pas de doute pénible, no problème d’itinéraire. Tu n’es pas face à ton banquier, pris d’angoisse au moment de choisir tes placements, scrutant anxieusement son regard louche. Ici, on t’indique la bonne direction, c’est clair, positif, aucune ambiguïté. D’ailleurs, peut-être as-tu remarqué pendant l’approche (tu sais, ce temps infiniment court, juste ce qu’il fallait pour chauffer tes muscles sans fatigue), as-tu remarqué que tu ne t’es jamais trompé contrairement à tes fâcheuses habitudes ? Ton corps disposait d’un savoir inné, une science tapie au plus profond de ton être , tu étais dans un espace de confiance, en sécurité. Maintenant, tu es là où tu veux être, au seul endroit où il est souhaitable d’être. Ce lieu respecte intégralement ton désir. Le paradis. C’est comme chez ton banquier de tout à l’heure, quand il t’a félicité pour l’excellence de tes choix stratégiques (Singapour, Genève, Luxembourg, îles Caïman).

La voie est devant toi. Pas de mal des rimayes, la première fois que ça t’arrive. D’habitude, tu as une chiasse pas possible, tu abandonnes avant l’attaque, c’est pourquoi tu n’as jamais fait de voie d’envergure, oui, à cause de ce ridicule problème digestif tenu secret sauf quand tu l’avais révélé avec des gargouillis au psychanalyste à l’œil moqueur. Mais ça non plus, tu n’y penses pas, comme si ça n’avait pas existé. La vie, ta vie commence aujourd’hui. La vie c’est chouette. La vie c’est très chouette. Suffit de voir. Et regarder au-dessus. Ça va aller. Beau rocher, solide. Si tu regardes la voie glaciaire, pareil, ça a vraiment l’air de tenir.

Il y a un choix à faire maintenant.

Variante glaciaire ou rocheuse ?

Ben ouais, ici comme ailleurs, y a le choix. Mais, bien sûr, comme on l’a déjà dit (on ne le répétera plus, sois attentif SVP), ce choix se fait… ? Se fait ? Tout seul, ouais, c’est ça. Tiens au fait, tu n’as  pas tes lunettes, celles qui font voir double[4]. A ton avis comment se fait-il que tu n’aies pas fait cette regrettable erreur aujourd’hui ? Toi pas savoir ? Espèce d’abruti, tu n’as plus besoin de ces maudites lunettes parce que tu vois étrangement bien. Et mieux que ça. Et pourquoi vois-tu mieux ? Mais parce que tu es à l’Arête du Bonheur, merde, la cervelle ça sert à quoi, tête de nœud ? As-tu remarqué que tu lis la typographie microscopique du topo sans difficulté[5] et que dans le même temps, tu as immédiatement repéré une fissure large d’à peine deux centimètres située cent mètres au-dessus ? Ben oui, tu la vois bien et pareil pour l’aigle à 5000 mètres au-dessus. Idem, le train dans la vallée brumeuse, tu vois à travers la brume, pas croyable. On passe à la suite ?

Voie glaciaire ou rocheuse ? La question ne se pose pas en fait, je vais t’expliquer pourquoi. T’inquiète pas, j’aime expliquer les choses. Surtout à des lecteurs attentifs et sympathiques comme toi.

 

1- Voie glaciaire       

Le couloir est en glace excellente. Si tu y vas, c’est la réussite à coup sûr.

2- Voie rocheuse :

C’est ce que tu vas pourtant choisir. Pourquoi ? J’explique, j’aime… Parce que le rocher réserve plus de surprise. Or, mon petit doigt me dit que tu aimes la surprise. Les bonnes surprises.

Allez, on y va.

A L’ATTAAAAAAQUE !!! Ton enthousiasme est confondant, communicatif, si tu n’étais pas seul, quelle fête ce serait ! Les vautours s’envolent, les chamois dévalent, la faune fuit, impressionnée. C’est quoi ton secret ? C’est simple : tu es à l’AAAARRRÊÊÊTEEEE DU BONHEUUURRRRR !!!!

Tu aimes le vide, hein ? Dès les premiers pas, tu crois marcher sur une surface horizontale, tes doigts trouvent les prises instinctivement, tes pieds des grattons qui, quoique minuscules, te semblent confortables, tes mouvements gracieux ont une fluidité rare, on dirait un trapéziste du cirque Plume. Tu maîtrises. Mais attention, tu vas si vite, l’exaltation peut te perdre.

L’extase guette. Difficile de faire mieux. La longueur qui t’attend comporte tout ce que cherche le grimpeur : dalle, fissure, dièdre, cheminée, surplomb, traversée, ascension directe, grattons, prises à doigts, à bras, pieds-mains, mains-pied, coincement de pied, genoux, coude, avant-bras, cou, pas dynamiques, statiques, sauts petits et grands, passages fins et athlétiques, bref, tout ce qu’on trouve dans un topo qui mérite son nom. Cette longueur est la plus belle, longue et unique. A la Tête du Salon, la paroi est haute mais se fait en une seule longueur, une longueur exceptionnelle. Pourquoi ?

Tu aimes les questions, décidément ? Pas grave, je ne me lasse pas de répondre, ma patience est infinie et je ne serai pas le premier fatigué à ce petit jeu. Ça t’amuse, hein ?

Je réponds. Une seule longueur parfaite. Songe que s’il y avait plusieurs longueurs, monsieur le malin, madame la maligne, songe qu’il y aurait comparaison. Laquelle est la plus belle, laquelle est la plus dure, laquelle est la plus pénible, etc. INEVITABLEMENT, Monsieur, Madame les gros malins, je répète calmement, écoute moi bien, cette comparaison aurait amené inévitablement à penser qu’il y aurait ici, à l’Arête du Bonheur, des longueurs moins belles que d’autres. On aurait dit que certaines longueurs n’étaient pas exceptionnelle, que tout ça était très bien MAIS que… MAIS QUE ! En serait ensuit une dévalorisation de la voie. L’idée que la perfection n’existe pas, même ici. Plusieurs longueurs auraient conduit au doute, à la discussion, l’incertitude et in fine au désespoir. Seule l’unicité garantit la beauté de la certitude, la confiance et in fine le bonheur. Oui, Monsieur, si je veux je peux répéter « in fine » autant de fois que je veux. Je fais ce que je veux, c’est moi qui écris le topo.

Mais en quoi cette longueur UNIQUE, c’est ce que j’ai dit, unique, en quoi est-elle la plus belle qu’on puisse imaginer et même plus belle que ce qu’on puisse imaginer. Oui, « puisse ». Ça te pose un problème ?

Je réponds. Quant du démarres la longueur, mec, frangine, tu te rappelles deux trois trucs. Pas des souvenirs honteux. J’ai dit qu’on ne regarde pas le passé ici, qu’on fixe le but, l’objectif sans ciller, concentration de fer ? J’ai pas dit ça ?

Je te parle pas de souvenirs et tu commences à me casser les couilles, désolé, quand je parle, c’est franco et je répète que tu me les meules menues et je te conseille gentiment de me parler poliment, donc, c’est pas regarder le passé que d’avoir quelques bons souvenirs. C’est exactement ça le secret de l’Arête du Bonheur. En grimpant, tandis que l’huile de tes articulations te rappelle celle que ta mère utilisait pour ses salades grecques (d’olive ou de pépins de raisins), si Monsieur qui sait tout, de pépins de raisins et je m’en fous que ce ne soit pas la recette de la salade grecque, ma mère faisait ça, je t’emmerde. Je disais, tandis que tu grimpes, tu as des reflux d’informations bonifiées, une source s’écoule qui ne s’interrompra plus et si ma manière de m’exprimer ne te convient pas, tu n’as qu’à filer, je ne verrai plus ta sale gueule et je m’en porterai mieux, cette source de bons souvenirs t’emmène partout, à la manif de Crest-Malville en juillet 79, avec ces chants révolutionnaires à plein poumons, cette fille magnifique au sourire éclatant sous le soleil de l’été[6]. Grimpant plus haut, tu devines des visages esquissés sur la roche, ils te regardent avec bienveillance, ce sont tes maîtres adorés, tes parents qui t’ont aimé si fort. Ah bon, ils te battaient ? J’savais pas, laisse moi finir, je te prie, tu recommences alors que j’ai repris mon calme, décidément tu me cherches et je crois que tu vas me trouver.

Bon. Ces visages doux fossilisés dans la paroi te rappellent le curé de ta première communion, ce moment où tu tenais l’hostie sans savoir qu’en faire, suant d’une honte misérable, un merveilleux moment, non ? L’hostie en main, tu t’étais éloigné de l’autel pour rejoindre ta place de brebis terrorisée afin de la déposer dans ta gueule communiante une fois assis et planqué sur le banc dans l’église quand le curé s’est mis à hurler : « communie tout de suite ! Communie tout de suite ! » Un des pires moments de ta vie ? Désolé, oublie ce curé. Rappelle toi ta thèse, moment magnifique, amis, famille venus applaudir ta consécration professionnelle, célébrer ton travail, pierre ajoutée sur la montagne sacrée de la connaissance : c’est cette pierre que tu retrouves ici au Dôme du Salon ! Quoi ? Ta thèse, une catastrophe ? Ah, les membres du jury baillaient, l’un ronflait, le seul resté réveillé gueulait: « votre travail est un torchon, une serviette usagée, vous êtes un déchet de l’université ! ». Tes parents humiliés baissaient la tête, tu n’osais regarder tes amis troublés, la thèse fut une veillée funèbre, désolé, je savais pas. On trouvera autre chose. Tu verras, l’Arête du Bonheur réussit à tous, même aux cas désespérés. Même à toi.

Comment est-ce possible, Ô topo, demandes-tu, n’est-ce pas là illusion, conte pour bisounours ? Ne te fous-tu pas de ma gueule ? Comment se pourrait-il que quoi que ce soit en ce monde puisse guérir tout homme du malheur ? Hein ? Hein ?

Bonne question, les amis.

La réponse arrive alors, à cet instant précis, l’univers bascule à l’intérieur de toi. Tu deviens un intellectuel. Tu découvres que topologie et philosophie sont sœurs. Que la cartographie mène du réel au point de vue sur le réel, que courbe de dénivelé et ligne de vie sont parallèles, que la dérivée de la courbe d’ascension en Dauphiné suit la pente du CAC40 au moment de l’attribution du AAA par l’agence de notation. Tu découvres que mathématiques, économie et topologie sont parentes. Que rien n’échappe à la topologie, qu’elle est LA méta-discipline par excellence. Que ta vocation de topologue est un don divin, te permets l’accès au bonheur. Bref, la voie du bonheur passe par la topologie.

Amen.  Alléluia. Amen. Amen.

 

Michaël Mac Jenbon

 

Annexe : Descriptif de la longueur clef (unique longueur de l’Arête du Bonheur) :

Dalle de la sérénité, mur du sourire puis traversée de l’ivresse joyeuse, pas de l’orgasme à répétition suivi du surplomb de la puissance retrouvée, dévers du mystique en extase, fissure de l’enthousiasme croissant. Puis arrive le crux, le ressaut des inspirés qui débute par la crête du fou-rire, grattons de la rampe joyeuse, pas de l’éclate et du pied absolu, vire de la bulle boursière qui jamais n’éclate, passage de la Grande Détente pour atteindre le Sommet du Ressaut, Flash final c’est cadeau. Belle vie.

 

Bibliographie

 

Arrity N., Anthologie du Topoguide en Haut-Dauphiné, in Annales de l’USDMHD, Section Histoire Critique, Nov. 2011, p.169-196, Bourg d’Oisans.

Chellous A. Modestie et humilité, l’art du topo, in Revue de psychosociologie de l’USDMHD, N° 1, Nov. 2011

Chellous A. Le Pic du Bureau, un objectif au bout du couloir, in Histoire de l’Alpinisme en Haut Dauphiné, p.696-969, PUHD[7], Grenoble, 1959.

Giroud A. Gervais M . « Pour une modélisation mathématique du compte-rendu d’ascension dans les revues scientifiques internationales » in Annales de l’USDMHD, Section Finances et Stratégies, Nov. 2011, p.214-318, Bourg d’Oisans.

Mac Jenbon Mickael Cotation en Haut Dauphiné et ailleurs, PUHD, Grenoble, 2011

Mac Jenbon Mickael, Les Grands Cotateurs, Pionniers du Topoguide Alpin, PUHD, Grenoble, 2011.

Nick-Pelit Gérard, « Pour une cotation objective », in Annales de l’USDMHD, Section Exploits, Nov. 2011, p.69-96, Bourg d’Oisans.

Nick-Pelit Gérard, Regrimper ou ramper, l’exploit à tout âge, Compétition au quatrième âge, PUHD, Grenoble, 2011.

 

Plus de Bibliographie ici.

Topo rédigé avant ascension, le 22/10/11 par G. Nick-Pelit et corrigé après l’ascension.

Bon pour imprimer du 11/11/11 reçu au SEC.



[1] Histoire de l’alpinisme, Le Pic du Bureau, un objectif au bout du couloir, Chellous A., PUHD, Grenoble, 1959.

[2] Ras le bol de ces grimpeurs qui lisent pas les topos.

[3] Rayez les mentions inutiles

[4] Cf. Le Couloir du Bureau

[5] Typographie qui permet d’économiser du poids en faisant tenir cent page A4 police 12 sur une seule A5

[6] Contre-vérité flagrante : désinformation, mensonge, confusion ? Il pleuvait fort ce jour là à Crest-Malville.

[7] PUHD : Presses Universitaires du Haut Dauphiné




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