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Textes Courts & Chroniques |
Traileurs 2/3 FanjoPas
une raison pour saliver comme ça. Je sais que tu ne rêves plus que de
l’Utéhèmmbé
mais, avant de poursuivre, rappelle-toi que trop d’enthousiasme mène à
la
déception. Autre chose. Je sais que tu crains que je ne veuille te
dégoûter de
ta passion, démolir tes idoles : oublie ce qu’on t’a dit.
Contrairement à
ma réputation, je ne suis pas un calomniateur professionnel,
destructeur et haineux
qui ne fait rien qu’attaquer les héros de l’Olympe. Je n’ai aucune
intention de
faire chuter le Trailer après le Pitonneur et ne citerai à comparaître
aucun de
ces volatiles stupéfiants survolant l’ultra-trail et chevauchant les
nuages. Je
les ai épargnés et les épargnerai parce qu’ils ne sont pas ma cible du
jour. Sache
que, si j’ai convoqué l’Utéhèmmbé,
c’est aux seules fins d’évoquer les Hertétés.
Oui, j’ai bien dit Hertétés. A ton
air hébété, je devine que tu n’as aucune idée de ce que signifie cette
rocailleuse et mystérieuse éructation. Je vais l’expliquer mais afin
que tu
comprennes bien, il me faut te rappeler ce qui suit, Fils. Quand
le silence glacial des cols du TMB fut rompu par le crissement
caractéristique
de l’ultra-basket minimaliste, les chocards du Brévent saluèrent
l’événement
d’un envol enthousiaste, diffusant l’information à toutes altitudes,
relayés
presque aussitôt par une effervescence de chorales suisses. Le
téléphone alpin
étant ce qu’il est, la nouvelle résonna jusque dans l’obscurité du
vieil
Oisans, faisant trembler dans les tanières des verres déjà vides. Dès
le
lendemain, des Dauphinois surexcités, infidèles aux ancêtres
colporteurs, jetèrent
leurs croquenots de cuir aux orties, exigèrent du cardiologue secteur 2
un
passeport d’effort pour dissoudre en deux mois leurs tendres poignées
d’amour.
Au point que leurs compagnes effarées, soudain couvertes de bleus, les
crurent sous
l’emprise de sectes végétaliennes. Après avoir chéri ces douceurs
adipeuses du
guide soucieux de durer, nos apprentis trailers vomirent soudain les
médaillés
rondelets qui les avaient guidés jadis au Dôme de Neige. Le converti
nouveau,
non content de cracher sur la branche ridée qui le porta, lâcha le
piolet au
profit du manuel plastifié, observant scrupuleusement le rituel du
trail, programmant
montre-GPS, compulsant échelles, cartes et repères, analysant postures
et
motricité, éliminant verrues plantaires et champignons du sillon,
calculant dénivelés,
calories, poids, vitesse et inertie. Derrière chaque col, un horaire, à
chaque
courbe de niveau, une fréquence cardiaque, dans la poche, une
calculette et
dans le ciel bleu de l’Oisans, le soleil étincelant d’un diagramme
Excel. Gare
à qui ne savait compter. Bref,
on crut l’heure des anciens passée et ceux-ci carrément dépassés, eux
qui
faisaient depuis toujours du maximalisme sans le savoir comme monsieur
Jourdain
de la prose. Ces lourdauds s’étaient crus condamnés au gros portage,
donc
interdits de demi-pointe, écrasant joyeusement le talon sur des Vibram
éternelles. Méprisant le ménisque et le plateau tibial, ils avaient
jusqu’alors
usé de ruses subtiles, mules increvables louées aux paysans pour monter
le picrate
en jerrican, treuil Poma pour tracter les sacoches, dépose préalable au
pied
des voies pour assurer gîte et couvert sous le nez de marmottes
incrédules. Tactiques
de commando qui permettaient le confort sans grimper avec un
coffre-fort sur le
dos ni exiger de soi-même un poids de Skeletor d’UTMB. Ainsi, tandis
que le
coureur du Mont Blanc se délestait sans regrets du muscle anaérobie
superflu,
quitte à frôler la transparence, les montagnards de Romanche
méprisaient le
régime, exhibant des cuisses épaisses de randonneurs gastronomes et des
godillots
à semelles de trois kilos. Leur désir de lutter était intact mais,
perclus de
rhumatismes, esquintés par le portage, la partie sembla jouée en cette
fin
d’été 2012. Les anciens s’apprêtaient à être crucifiés par un Jésus
revanchard
et saignant, ultra-trailer bionique surgissant du Galibier. Désespérés,
nos anciens abdiquaient, fermant une dernière fois le loquet de bois du
chalet,
cachant le génépi et le baudrier Rébuffat qui avait tant fait souffrir,
se
bouchant les oreilles pour ne pas ouïr le souffle de forge de
l’ultra-trail. Bref,
à l’instant même où ils s’éclipsaient d’un pas lent et le cœur gros,
surgit, en
contre-jour au sommet du Vieux Chaillol, celui que l’on n’attendait
plus. Qu’on
avait cru légendaire. Dont les aventures semblaient appartenir aux
fictions
radiophoniques pour ménagère de moins de cinquante ans, cible
privilégiée du
publicitaire. Quant
cette vision lunaire apparut, l’angle interne des yeux presbytes de nos
montagnards
sur le départ fut inondé de larmes. Gênés, les vieux se justifièrent en
invoquant des poussières de Savoie portée par le vent du Nord, mais
sous le
cuir dur, le cœur frissonnait, ces hommes fiers tremblaient à la vue de
l’homme-chamois qui approchait, à demi invisible dans les massifs de
rhododendrons. Descendant de là-haut, il venait laver l’affront de la
destitution de la marche à papa, armé de Vercors Galibier hors d’usage.
On
ne l’avait encore jamais vu, mais le doute n’était pas permis. Celui
qui
sortait du maquis ne pouvait être que Fanjo. L’homme des Hertétés.
[1] Par
convention,
je m’adresse à un interlocuteur mâle. Le traitement qui lui sera
infligé
ultérieurement devrait éviter toute accusation de sexisme et misogynie
de la
part d’une interlocutrice. [2] Cf.
la première
partie : Utéhèmmbé. [3] Je
répète trop,
exact. J’aime jouir de l’asymétrie générationnelle |
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