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1/3 Utéhèmmbé !
Mon
objectif est d’expliquer pourquoi,
toi, vieil alpiniste qui a toujours imité à merveille le paysan suisse écrasé
sous la charge, tu as, le temps d’un été, adopté ce morphotype longiligne au visage
dépourvu de joues. Comprendre comment
tu en es venu à t’égarer sans sac dans une tempête de pieds au col du Bonhomme,
sang affleurant l’arrière-gorge et mesurant anxieusement le glycogène restant
rapporté, au mètre près, à la distance te séparant du prochain ravitaillement. Lis
plus doucement. Respire, tu es nerveux, c’est mauvais pour ta VO2 max. Prends
ton pouls. 45 par minutes ? Parfait, je poursuis. Tu
l’as compris, mollets d’acier et taille de guêpe, ce chapitre vise à instruire
un courageux dressé sur l’avant-pied (oui, il s’agit de toi !). Un vrai
tenace qui débarque sur le sentier de guerre du vingt et unième siècle,
guettant col et borne d’arrivée, torse frissonnant sous les giclées de grésil du
Nord-Ouest (encore toi !). D’où lui vient, à notre révolutionnaire
galopant (toujours toi !) ces rêves de chevaux et d’oiseaux ? Cesse
ce tremblement de jambes pénible, s’il te plait, et sois attentif, l’hyperactif.
Tu vas apprendre beaucoup. A
l’aube des temps humains (là sera mon point de départ), le bipède pensant
démarra sur les chapeaux de roue pour confondre aussitôt existence et galopade
effrénée. Le temps des grosses bêtes ne connaissait qu’un motif à cette hyperactivité
locomotrice : la fuite, lâche mais nécessaire qu’on ne pouvait interrompre.
La technique dominante était celle qu’utilisa plus tard Usain Bolt pour défier
le yankee, droit devant et à plat. À ceci près qu’on faisait la course « regard
à la retourne », agissant ainsi une pulsion rétro-scopique de trouillard polarisée
sur la dentition du prédateur. Posture à l’origine de torticolis fréquents chez
ces athlètes qui finissaient assommés contre une basse branche avant d’être
mangés. Pire, comme l’a prouvé une étude serrée des dossiers médicaux d’époque,
cette torsion cervicale vérificatrice et caractéristique du grimpeur
paranoïaque, provoqua quantité de scolioses pré-scolaires aggravées à
l’université et je ne parle pas du poids excessif des cartables. Il n’en
fallait pas plus pour que l’autorité sanitaire aux abois ordonnât le changement
de technique. Ce qui fut fait sans attendre, sur proposition d’une commission
ad hoc, en moins de trois millénaires. C’est
ainsi que cette phase rétrograde, où, paradoxalement, il fallait courir en tête
malgré le lumbago pour conserver sa viande, fit place à une traumatologie
faciale et tendineuse plus claquante et clinquante quand vint le Grand Retournement.
Je fais allusion au virage à 180° que nous valut l’âge de pierre où, contre
l’avis des traditionnalistes, le sapiens sapiens, qui méprisait l’éthique, entreprit
non seulement de tailler ses prises pour améliorer la grimpette qui lui sauvait
la mise, mais encore et surtout de fabriquer hache et massue, pierre
d’achoppement du progrès comme on sait. Apparut alors sur ses lèvres cette moue
goguenarde de qui réussit son 7a+ à vue et il stoppa sa course. Arrêt éphémère
car il fallait manger. Et donc, redémarrage précipité en sens inverse, arme au
poing, pour arroser l’arroseur, prédater le prédateur[3].
Désormais, on courait vers l’avant et l’avenir. On avait même l’espoir de prendre
à l’animal sa fourrure polaire XXL, ignorant les contraintes nouvelles exercées
sur le tendon d’Achille et la carte Vieux Campeur. Les
millénaires suivants virent notre coureur saisir mammouths et marmottes,
antilopes et chamois, ceci jusqu’au Gros Ralentissement que constitua la
découverte du champ de blé avant le stade de l’Enkystement qu’on crut Final
quand il fut face à la vigne. La course devint alors l’apanage des seuls
chasseurs arriérés qui n’avaient pu se payer un 4X4 tandis qu’aux veillées, on
préférait télé et grimpe indoor. Nous en étions là au mois de juin dernier
(2012). Aujourd’hui,
tout est changé. Nous vivons le retour du refoulé de l’histoire. Foulée de
préhistoire qui remonte nos pierriers, devrais-tu dire, rythme ancestral qui questionne soudain le
sens de ta vie alpine. Ton regard viril examine maintenant sans concession ce
misérable stade alpiniste qui fit de toi un vieillard ralenti appuyé sur sa
canne à pointe et à panne, tête cachée sous le bonnet. Les exploits
d’hibernants et autres sauriens en doudoune et knickers te semblent aussi vieux
que l’ère glaciaire, maintenant que sonne l’appel des prophètes de
l’Ultra-Trail. Descendant du Brévent en chantant l’avènement du Bipède Véloce sans
bicyclette, révisant la genèse et changeant de chaussettes, ils nous apprennent
que Dieu créa sapiens galopens, non pour libérer l’antérieur de sa fonction
locomotrice mais pour accomplir la Dynamique du Ciel. En lâchant le mot sacré, Utéhèmmbé, pour indiquer le chemin, proclamant
qu’Autruche et Homme sont enfants de Dieu et Trail le chemin du martyr, ils
t’ont livré le ticket gagnant pour le Mont Paradis. Dur
à avaler pour un grimpeur de tradition mettant son honneur dans le biceps et le
grand fléchisseur. Quadriceps, rotule, orteils, hallux valgus sont-ils maintenant
assis à la droite de Dieu? La démarche de tortue, sac ventru et tente à
l’extérieur, gourde sonnant la cloche contre le piolet, sueur rance du
randonneur et pause saucisson n’ont-elles plus de valeur ? A l’heure de
l’Utéhèmmbé et du killer Kilian, en ces temps de renouveau, d’urgence et de
Saints Trépidants, laisserons-nous sur le côté le sapiens usagé aux ménisques
fissurés pour offrir nos montagnes au nouveau peuple élu ? À
ces questions angoissées et à mille autres, nous répondrons dans un travail
ultérieur. En attendant, resserre tes baskets, mastique tes Snikers et mouline comme
un malade dans la pente aux endorphines, cherchant ton troisième souffle.
Oublie la brulure et la crampe, ignore ce vertige et ton envie de choir,
regarde devant toi, Fils[4] !
Entends-tu le cri de l’Utéhèmmbé ? [1] Notez le
renoncement au nous professoral pour
un je plus dynamique et mieux adapté à
l’objet de notre exposé. [2] Remarque
maintenant le passage précipité au tutoiement, moyen adéquat à une
communication fluide, plus cohérente au propos. [3] L’arme première
fut autrefois avant la hache, on le sait maintenant, l’obstination de la course
à l’épuisement. [4] Pour cette familière apostrophe, explication sera donnée ultérieurement
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