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L'Oeil du Dauphiné

Le Pic du Meyrit

Pétitif - 3

Chaillol


« Pour s'accrocher aux pentes les plus ardues, l'outil pointu est nécessaire. Aux nés de bonne famille, la fidélité au père garantit la bonne pioche »

 Henry de Courtoisy
("Un auteur des hauteurs", Editions Marthaud, 1910)


Troisième (et dernier?) volet de notre article Pétitif. Pour une meilleure compréhension, consulter l'introduction et surtout le premier volet ici). Ce travail a été réalisé en collaboration avec le département des exploits de l'université.


Depuis l’aube des temps, la géologie narguait nos paysans. Courbant l’échine sous la botte de foin et suant sur l’herbe couchée qu’ils remontaient en sandales sans crampons, ces êtres simples sentaient confusément une Présence.

Dans l’immensité des pentes acharnées à les éjecter, leur sainte frugalité les privait de la climatisation que chérit l’internaute mais aussi de la science du professeur de loisirs et ceci au point d’ignorer la valeur marchande de l’inclinaison invraisemblable dont ils avaient fait leur chantier d’herbe et de troupeaux. Aveuglement sidérant quand on sait que ces imbéciles survivaient depuis les origines sur la mine d’or du tourisme, foulant d’un pied alcoolisé ce point de vue sublime où nous venons souvent examiner le versant Nord-Est de Celui qui nous intéresse. Observatoire idéal, lieu de science, endroit philosophique et méditatif par excellence.

Ce ce qui ombrageait l’alpage n’était toutefois pas le Tout-Puissant, ce dernier ayant fui depuis belle lurette ces reliefs agités. C'était la masse bifide et prestigieuse de deux montagnes colossales pleines de morgue et d’inutilité méprisant l’autochtone autant que celui-ci les évitait. La première de ces cimes n'a jamais été nommée: elle ne sera plus évoquée ici[i]. Quant à l’autre, sitôt cartographiée, elle devint l’emblématique et célébrissime Pic du Meyrit[ii]. Exactement.


Simplifions au maximum nos indications géomorphologiques.

Le Pic présente deux versants principaux et opposés :

A. Le Nord-Ouest dominant le Val d’Hinné[iii]. Sans difficulté pour un grimpeur équipé, il fut vaincu très tôt par de riches vacanciers disposant de résidences secondaires en vallée avec l’aide rémunérée de guides locaux (sélectionnés sur CV aux normes).

B. La face Sud-Est surplombant Achichtanches[iv], raide et complexe. Défi moderne hors de portée des locaux qu’on appelle profiti et qui, ayant abordé tardivement leur phase d’humanisation, n’ont jamais eu conscience du trésor au-dessus de leur tête. Depuis toujours, les profiti passent leurs journées à regarder la télé en mangeant des myrtilles avec du fromage blanc d’Hinné, volé par leurs nombreux enfants. Les psychologues d’Hinné ont prouvé que ce naturel délinquant du profitus résultait d’un terrain génétique vicieux renforcé par l’envie que suscitait la réussite du talentueux voisin[v]. Il est d’autant plus déplorable de constater que ces vauriens d’Achichtanches, plutôt que reconnaître leur infériorité patente, ont réussi à rendre classique le surnom de p’tit Chuiche dont ils ont affublé les courageux habitants d’Hinné, caricaturant une nonchalance apparente, laquelle recouvre en vérité une impitoyable morale, une détermination remarquable et un sens profond de l’économie dont ils devraient prendre exemple.


Revenons à nos montagnes.

Le versant Nord-Ouest du Meyrit fut gravi pour la première fois par l’austère Henry de Courtoisy, arrière-grand père de Philippe, avec support logistique de guides locaux. L’histoire officielle néglige l’embauche d’un immigré originaire d’Achichtanches qu’un hiver de brouillard avait égaré au col d’Aky sur la ligne de partage des eaux. Par charité et faisant fi de la réputation de sournoise léthargie du profitus d’Achichtanches, on gratifia ce miséreux de la responsabilité du portage du matériel et vivres pour dix personnes. Une telle confiance était risquée mais le grand Claude la justifia par la plus-value scientifique de l'expérience, dont il tira un mémoire de Pédagogie Appliquée devenu classique : "Inculquer le sens de l’utilité collective à l’être primitif centré sur ses besoins propres" (PUF, 1885).

La première ascension du Meyrit eut un fort retentissement médiatique et boosta l’économie locale. De la zone avalancheuse non constructible menant au sommet, on fit un terrain dédié à l’usage formatif sous forme de stages d’alpinisme prisés jusqu'à la capitale. Ainsi fut récompensé le dynamisme commerciale naturelle indéniable des habitants d’Hinné (et je ne parle pas de l’envolée du prix du foncier au cours des décennies suivantes).

Cependant, les idéologues du CAA proclamèrent que l’excursion en montagne ne pouvait s’accommoder d’aventure formatée avec hôtel trois étoiles, qu’il fallait du plus rude pour consacrer la supériorité des p'ti Chuiches sur les mal-chaussés d’Achichtanches. Internet faisant circuler des clichés du terrifiant versant Sud-Est, il devint évident que le Pic ne mériterait son nom qu’escaladé depuis la vallée infertile, l’autre versant ne valant pas grand-chose sur l’échelle de l’aventure. C’est ainsi que débuta le siège du mur Sud-Est dont l’ensoleillement favorable peu compatible avec l’éthique de souffrance en vigueur était heureusement compensé par des passages assez raides pour vite passer à l’ombre.

Alors, dans ce temps déclinant où l’on questionnait jusqu’à la légitimité des ancêtres en sciant joyeusement la branche morale sur laquelle on se vautrait, débuta le match destiné à asseoir une fois pour toute la suprématie des Chuiches sur les Profiti. Match visible en temps réel depuis les bars d’Achichtanches à qui la commune d’Hinné loua des télescopes et un service de sécurité musclé adéquat à la confrontation du civilisé à une sous-culture d’alpage. Aussitôt débarqua en Achichtanches un métissage de grimpeurs, coulée de boue produisant un sentiment d’inquiétante étrangeté chez le natif d'Hinné en voyage, on ne savait plus où on était. Parmi eux, Peter Von Kuraj revint au pays en nouveau prophète.

Pour simplifier, distinguons deux lignes de fracture principales. D’un côté, guides et clients d’Hinné, de l’autre, francs-tireurs disciples de Von Kuraj. D’un côté, style ampoulé mais éprouvé du danseur classique, classe, élégance, éducation, érudition. De l’autre, rudesse, violence et virilité prolétaire. Deux manières ayant avantages et défauts.

Au final, Von Kuraj et Max Von Arbeit, son compagnon plus jeune de dix ans et rochassier virtuose, réussirent la première de la Sud-Est, performance rocheuse inégalée. Sans toutefois atteindre le sommet à cause d’un orage furibond. Max Von Arbeit déclara une fois revenu sur le plancher des vaches :

-   La face Sud-Est du Meyrit est la plus dure escalade des Alpes Occidentales, Orientales et Centrales. Pour ma part, je considère que nous avons réussi : nous étions à une longueur du sommet, plus aucune difficulté. Mais la foudre est tombée trois fois et jamais trois sans quatre, nous ne sommes pas suicidaires ! Notre survie prouve que nous dominions la situation.

De Courtoisy, provocateur, prétendit que la météorologie était une preuve infalsifiable du mécontentement céleste envers ces grimpeurs incultes. Dès le lendemain, utilisant l’équipement abandonné par Von Kuraj, il attaqua la voie et atteignit le sommet avec son partenaire Emmanuel Vinci après trois jours de lutte acharnée.

-   J’ai réalisé la première depuis Achichtanches, dit-il lors de la conférence de presse qui l'accueillit à son arrivée, le visage marqué par l’effort, langue collant au palais. Achimachin, savez-vous qu’on doit ce nom ridicule à la prononciation des autochtones dont la dentition vulnérable aux sucreries se met aux abonnés absents dès l’adolescence ?

Ce succès d’opportunité valut à De Courtoisy une immense notoriété. Et la rancœur définitive de Von Kuraj qui le traita de racaille, terme inadéquat si l’on en juge à la classe du leader du CANT, né à Neuilly-sur-Seine et demeurant Paris XVIème. Mais c'était aussi une attaque suicidaire de la part d’un grimpeur natif d’Aky, village voisin d’Achichtanches ayant sécrété une kyrielle de fainéants dégénérés et autres professionnels de la rapine. Le public outré par cette sortie détestable ne cessa dès lors de renvoyer Von Kuraj à ses origines à chacune de ses conférences « Connaissances du monde », faisant de son gagne-pain un enfer.


Revenons à nos chamois.

Au Festival 2014, Von Kuraj, subitement lassé de son admonestation rituelle éthique, avait donc changé de registre, à la stupeur générale, annonçant d'une voix claire et décidée qu’il aborderait LA question. Non moins surprenante fut la réaction de Philippe de Courtoisy, résigné, qui osa résumer ainsi :

-   Les valeurs d’Hinné défendent la noblesse d’origine, qu’elle soit génétique, biologique ou morale. Sont-elles différentes des vôtres prétendument acquises, le travail et le talent individuel exprimé dans l’effort ? Vous attribuez vos exploits à la seule force de votre volonté et pour cette raison affirmez en être les seuls auteurs. Votre naïveté confond, Peter ! Vous n’êtes pas nés au creux d’un rocher ni venu du ciel. Il n’y a rien de personnel au sens où vous l’entendez. Je ne nie pas ce que vous avez réalisé et j’y applaudis avec enthousiasme. Mais cette réussite qui, parce qu’elle est le produit de cet effort personnel, du dépassement de votre souffrance, justifie selon vous les honneurs qu’on vous doit, tient à des forces familiales, sociales, amicales, tout ce que vous voulez, qui ont favorisé, entretenu, motivé votre passion ! Vous nous proposez en réalité des conditions externes à votre moi pour justification de votre gloire et honneurs ! Un contexte hasardeux inégal dont vous avez bénéficié ! Cette rage de grimper qui porte vos réussites, si vous ne la devez à l’injustice du hasard génétique, vous la devez aux caractéristiques d’un environnement qui en a permis l’émergence, un environnement que la loterie humaine vous a attribué. Et ceci, notez-le, sans que nous n'ayiez pris la peine d'en acheter un seul billet. En quoi un tel hasard serait-il plus légitime que l'inégalité de la distribution des gênes familiaux ou des privilèges différenciant nos lignées?

-   De Courtoisy, vous avez tort. Certains d’entre nous viennent des pires quartiers d’Achichtanches. Ils ont brisé les chaînes de la naissance pour franchir la muraille mortelle du Meyrit et vous voulez diminuer l’éclat d’actes dont vous n’avez jamais été et ne serez jamais capables ?

-   Vous déviez, Peter ! Les rescapés de votre triste vallée sont les arabes de service, vous le savez parfaitement, vous en êtes le meilleur exemple. Pour une cordée qui s’en sort, combien de morts? Combien pourrissent dans la misère, aplatis sur le canapé devant la télé et rotant la myrtille ? Vos rarissimes héros font passer la pilule mais dans ces vallées déshéritées, justice ou égalité sont pures fictions. Ceux qui s'en sortent par le haut ont bénéficé de forces peu visibles mais efficaces, des forces qui ont dépassé la puissance du contexte général. Prétendre que vous en êtes l'auteur unique est d'une naïveté totale, une logique d'auto-engendrement qui nie ce qui, avant vous, autour de vous, a fait de vous ce que vous êtes. En quoi serait-il plus juste de vous récompenser pour ce qui ne vous appartient pas que de le faire pour votre nom de famille? Votre morale ment et ne dépasse pas celle du " rien n’est vrai, tout est permis"[vi]. Votre moi n’existe pas, Peter!

De toute évidence, ce débat n’avait d’autre solution que la plus cynique. Sans l’éboulement du Meyrit qui propulsa un bloc de granite sur le Marabout central, ratatinant Von Kuraj et De Courtoisy de façon égale, nous en serions encore aux arguments. Au moins aura-t-on évité le pire qui eut été de les voir encordés ensemble pour fêter la victoire de l’injustice, que l'origine en revienne à la naissance ou la culture. La montagne eut cette fois-ci le dernier mot.



[i] Mont Sans Nom. Terminologie utilisée pour dépister le dyslexique qui répète / comprend : « Nom sans Mont ».

[ii] Egalement nommé Pico de Meeritos, Merytocratik Peak, etc…

[iii] Vallée luxuriante centrée sur le bourg d'Hinné, sous-préfecture de cinq mille habitants accueillant cinquante mille touristes aux vacances d'hivers et d'été. Station de ski haut de gamme, nombreux hôtels 4 et 5 étoiles, restaurants renommés avec fondue. Prévoir un budget conséquent.

[iv] Ville dortoir-dépotoir dans une vallée au climat malsain. Précisions dans l’article.

[v] Ceci sans culpabilité consciente, le psychisme archaïque du profiti n’ayant pas atteint le stade requis.

[vi] Cf. Alamut, Vladimir Bartol, Traduction de Claude Vincenot, Éd. Phebus, 2001


Bibliographie Futile

De Courtoisy Henry, Un auteur des hauteurs, Editions Marthaud, 504 p., 1910.
De Courtoisy Philippe, Réussir Là-haut – Technique, entraînement, carnet d'adresses. (Manuel pratique), Editions Matuvu, 1001 p., 2012.
De Courtoisy Philippe, Krach des valeurs alpines et chute du baromètre, Revue Monts et Merveilles, p 22-66, Mars 2014
Ferry Luc "Qu'est-ce qu'une vie réussie ?", Grasset, 2002. (Pas lu. Nous ne pensons pas l'acheter, l'auteur ayant réussi n'a pas besoin de nos sous)
Séguela Jacques, Propos d'horlogerie, Annales de l'Ordre des Publicistes Suisses, 2007 - 2012
Von Arbeit, Max, Histoire comparée du CANT et du CAA, P.U.B., 98 p. 2013

Von Kuraj, L’appel des cimes en politique régionale, Editions Laho, 333 p. 2012. 
Von Kuraj, Pic du Meyrit - Une histoire, Editions Laho, , 1800 p., 2014
Von Kuraj, Religions primitives en Val d’Aky, Editions du Millénaire, 2000.
Von Kuraj, Combattre le Vide, Editions Vertigo, 222 p. 2014 (son best-seller)
Von Kuraj, Renouveler l’élite – Plaidoyer pour des critères objectifs
Walch Jean-Pierre, Guide historique et technique de l'alpinisme, Editions Guérin, 2012.
Walch Jean-Paul, Comment l’escalade est devenue un sport, Le Monde diplomatique, août 2014

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