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Annales des Topo-Guides de l'USDMHD - Années 2000-2020

 

Pic Woerth

Pilier de l'Hippodrome, Voie du Gendre Idéal

 Variante de l'étroiture de l'Enveloppe dans la cheminée Bettencourt et dièdre Marini
Ouverture en 2010 par Eric, Liliane, Florence et Patrice de la section escalade du Rotary Club de Chantilly

Attention Danger ! Un séisme en mai 2012 en Vallée des Sarkasmes a fragilisé la base du Pic.


Introduction

Lors de la réunion du 17 mars 2012, après une discussion d’une rare violence, le conseil de l’Université, cédant à une demande du Département de Topologie, autorisa Michaël Mac Jenbon à réaliser une étude topologique préliminaire de la Vallée des Sarkasmes, pourtant située à des années lumière du Haut Dauphiné. Nos règles démocratiques impliquant une transparence absolue, il nous faut expliquer ce choix qui en surprit plus d’un (et plus d’une).

La Vallée des Sarkasmes, fréquentée par le grand public dès les années 70, fut propulsée sur le devant de la scène alpine en 2007 par des aventuriers décomplexés qui, feignant de la découvrir pour la première fois, y annoncèrent « une rupture d’avec les pratiques alpinistes archaïques »[1]. Nombreux furent les clubs de montagne dont les dirigeants furent contaminés par cette propagande : faisant preuve d’une naïveté confondante, d’un suivisme affligeant, ils organisèrent des stages de perfectionnement aux Sarkasmes, contribuant à en faire la « zone étalon » de l’alpinisme moderne. Abandonnant sans remords les raisons premières de leur passion romantique, ces grimpeurs devenus Sarkastiques pur jus ont voulu étendre à l’ensemble des Alpes les qualifications utilitaires de « terrain d’aventure » et « terrain de jeu » chères aux planificateurs du ministère des sports désireux d’offrir aux grimpeurs de la vallée un stade géant conforme à la réglementation ISO-SARKASM 2007. Le pré-alpinisme, autrefois exutoire pour individus fuyant l’uniformité d’une société moisie, fit place au post-alpinisme, sport pratiqué en goretex à paillettes largement dominant aujourd’hui.

Au départ, il semble hasardeux d’établir le moindre pont entre Haut Dauphiné et Sarkasmes : ces dernières affichent une géomorphologie superficielle et enjouée à l’exact opposé de nos montagnes austères, ses habitants se vautrent dans le libéralisme alpin tout en vénérant, sans peur de la contradiction, les « valeurs alpines éternelles » après les avoir dépouillées de leur contexte historique. Bref, tout aux Sarkasmes nous éloigne de nos théories et pratiques alpinistes Dauphinoises. Ce sont pourtant ces caractéristiques rédhibitoires qui firent basculer le conseil scientifique. En effet, celui-ci considéra que, nul massif ne s’opposant à notre approche en de si nombreux points, celui-ci était en toute logique le mieux placé pour définir notre massif en négatif, sur le plan géographique comme « mental ». Plus inquiétant mais plus intéressant encore, il fallut admettre que nous disposions là d’un terrain unique, susceptible de nous aider à détecter en quoi nous étions, nous aussi en danger de Sarkasmie. Pour finir, il fut décidé d’étudier ces montagnes où la repentance historique est bannie, où l’alpiniste doit hurler son amour de la Vallée et son admiration pour les Pics hautains qui le dominent, adopter sans rechigner us et coutumes des guides locaux, knickers en elastiss inclus, sous peine d’expulsion manu militari et d’interdiction de grimper.

Ce préliminaire te paraît long ? Toi, grimpeur, grimpeuse, tu soupires, impatient de découvrir la protogine clinquante des Sarkasmes, ses Dülfers d’anthologie, ses pas d’équilibre en grand écart ! Tu veux abolir le temps et respirer sans plus attendre les lichens du Woerth ? Mais bon sang, tu ne comprends pas ? Je n’ai pas le choix, je dois t’infliger ce préliminaire, cet avertissement avant de te laisser te jeter sur ta proie. Si tant est que tu ne sois pas toi-même la proie. Je le répète, un topo n’est pas une sinécure, une BD divertissante et dépourvue de projet. Il vise l’édification du grimpeur ou de la grimpeuse (toi) et ça prend du temps.

Pour commencer, apprends qu’en chaque montagne, chaque itinéraire, se cachent des questions mille fois plus vastes que ton microscopique objectif sportif. Que dans cet objectif sportif même chuchotent des voix qui bientôt se révolteront contre toi, voix affamées de savoir que ne rassasiera guère la liste soporifique des longueurs de cette voie du Gendre Idéal au Pic Woerth. Ah, la voie est citée, enfin ! Te voilà rassuré (e). Oui, c’est bien au Pic Woerth que nous irons d’ici une ou deux pages, main dans la main. Ensemble, tu as bien lu. En effet, et bien que ça me chagrine de cheminer avec toi, je ne peux t’envoyer à la mort et avant tout, je dois t’avertir solennellement : n’y vas pas seul et sans biscuits. Il faut une solide préparation mentale. L’univers des Sarkasmes est implacable, terriblement nordique et toi, grimpeur du Sud, tu n’es pas préparé, aussi fort et robuste à la douleur sois-tu. Cette dernière hypothèse est inscrite ici à titre systématique parce que le cahier des charges de la rédaction des topos nous impose de ménager le lecteur (je t’en ai déjà parlé dans un autre topo, tu te souviens ?). En ce qui te concerne, ça ne tient pas, je sais ce dont tu es capable en Dauphiné, massif pourtant connu pour tolérer les grimpeurs de troisième classe. Alors quand tu débarqueras aux Sarkasmes, vallée autrement plus exigeante et destinée à l’élite, ce sera ta fête. Et pour une fois, bien que tu ne m’inspires pas plus de sympathie que la semaine passée, je t’assure que je n’en retire aucun plaisir.

Toi pas comprendre charabia ? Je m’y attendais. Je connais tes réactions, je te l’ai dit. Tu es si prévisible, tes inquiétudes, ton irritation de star sur le déclin (qui s’aggrave, as-tu remarqué ?). Tu fuis les problèmes, préférant foncer dans cette voie sans attendre pour t’abrutir en vieil alcoolique qui noie son enfance sordide dans le blanc-cassis. J’ai fait ce que j’ai pu pour t’alerter mais il est tard et si je continue, tu vas définitivement te braquer, doigts enfoncés dans les oreilles, fermé comme un mousqueton à vis rouillé et tu finiras par escalader la voie du Gendre Idéal. Alors, tu finiras pas tomber sur un guide des Sarkasmes avec son client richissime, un de ceux vis-à-vis desquels je voulais te mettre en garde, aiguisant ton esprit critique mais cette tâche frise l’impossible, je ne le sais que trop.

J’aimerais que tu saches où tu mets les pieds, je ne suis pas ton ennemi bien que je t’aie fait des sales coups récemment. Soit patient s’il te plaît, tu vas pénétrer dans le TOPO proprement dit mais attends, je n’ai pas fini mon introduction, tu n’es pas dans un Mac Do, service rapide et alimentation de merde. Ici, tu es à l’unité de Topologie et tu as une sacrée chance, alors mérite ce privilège. Si tu écrasais ta cigarette, ce serait mieux. Merci. Maintenant, écoute et mets-toi ça dans le crâne, peut-être qu’une fois là-haut dans les difficultés, tu te féliciteras d’avoir écouté avant de te jeter dans la gueule du loup.

Comme je l’ai dit plus haut, cette vallée a connu un succès important ces dernières années. Pour un crétin des Alpes, ça paraît logique car, à première vue, elle ne manque pas d’attraits : villages riants, chalets cossus, villégiatures huppées pour nantis, animations télévisuelles bruyantes où se presse une population enthousiaste résolument tournée vers l’avenir et refusant l’auto-flagellation historique. Oui, je l’ai déjà dit, tu as raison, mais un topo doit répéter, cette pédagogie a fait ses preuves. Donc, je poursuis. Cette psychologie positive Sarkastique est stupéfiante à l’heure du doute international, une confiance en soi fantastique qui protège l’alpiniste autochtone de la fatigue, lui qu’on s’attendrait à voir épuisé par des ascensions dépassant largement trente-cinq heures, accumulant les heures sup pour améliorer son quotidien et ceci, sans pénaliser son entreprise. Ce labeur acharné lui permet, heureux résultat, d’acquérir en quantité 4X4, chevaux de course, propriétés luxueuses à la vue imprenable sur les Pics alentours, avantages dont tu rêves, je te comprends. Sur les murailles rouges fumant au coucher du soleil, on peut admirer, confortablement installé sur son balcon, les itinéraires grandioses, rampe Bolloré, Bouyghes directe, cheminées Dassault, pilier Courroye, Couloir Lagarde et tant d’autres. Sache qu’ici, aux mœurs locales flamboyantes répond un style alpin équivalent, un spectacle priapique de pics virils, bouquet de cimes dont l’élan jamais ne s’interrompt. Cependant cet enthousiasme grisant ne peut masquer à l’observateur attentif les stigmates d’une lutte impitoyable entre ces sommets au profil étrangement semblable. On perçoit dans ces faces altières une manière de défi, une insistance pénible à prendre la première place, une tendance à la bousculade qui fatigue. Le résultat en est ce phénomène courant qui frappe l’alpiniste du Sud venu dans la vallée : à trop regarder les cimes, une lassitude le prend. On en vit ainsi repartir abattus et battus avant d’avoir tenté la moindre ascension, fuyant comme voleur de poules poursuivi par la maréchaussée. La Vallée demande au visiteur une constitution particulière, une capacité spéciale. Dure sélection : sans alliés ni piston, peu de chance de durer. Gare si tu montres la moindre réticence, la susceptibilité locale est forte ! Un propos mal venu, une once de critique, une simple réserve entraîneront de graves conséquences : colère d’aubergiste défendant la réputation des Sarkasmes, intervention musclée de policiers ignorants les subtilités de procédure et dégainant l’outrage à agent au premier sourcil levé, guides locaux chassant arme au pied tout guide du Sud franchissant la rimaye. Ici, tu dois respecter une règle simple : affiche ton amour de la Vallée ou quitte-la, adopte les valeurs Sarkastiques ou décampe. Et vite. Vois-tu, barbare dégénéré, l’époque léthargique est terminée, oublie ta passion pour la sieste au profit d’une trépidation d’agent commercial. Si tu te bouges, tu auras peut-être une place au Pic Woerth au milieu des grimpeurs Sarkastiques, génétiquement programmés pour vaincre.

Tu as été patient, je t’en félicite. Voici ta récompense. Nous partons pour la 

 

Voie du Gendre Idéal au Pic Woerth (au Pilier de l’Hippodrome)

Arrête de te ronger les ongles, on pourrait te voir, n’oublie pas la vidéosurveillance dans les fissures et ici, ça ne se fait pas. Ah, j’oubliais, détail important : comme tu sais, en 2010, quand l’itinéraire culminait au hit parade de l’escalade, qu’on se ruait au Woerth en un flot ininterrompu, un torrent de boue venu des plateaux périphériques a soudain submergé la voie, lui faisant perdre ses atouts principaux, propreté et parfums, lui ôtant toute chance de nomination aux oscars 2012. Résultat, afficher ostensiblement ton intention de faire le Woerth te feras passer pour un dégoûtant. Ce que tu es, entre nous soit dit. Alors, fais gaffe.

Assez causé, on y va. Lever à cinq heures du mat. Demande à Florence de préparer du café arabica d’île d’Arros, c’est du corsé et ça ne sera pas de trop.

Rasage. Ne bâcle pas. Enfin, si tu es un mâle. Ce n’est pas ce que tu es ? Une grimpeuse, ah bon ? Dans ce cas, oublie le rasage, utilise l’Hydratant Euphorisant de Peaux Sèches et Sensibles - Happy-Derm de L'Oréal. Ajoute dans ton sac des tonnes de parfum L’Oréal, tu en auras besoin, ici, ça pue, une odeur atroce qui descend de la Moraine Morano sous la Tête de Pécresse.

Vérifie ton apparence dans le miroir de ta chambre individuelle au refuge Fouquet’s autrement plus confortable que le Tuckett et j’ose espérer que tu n’auras pas commis l’erreur stupide de confondre ces deux refuges situés de part et d’autre du Pic. Une fois sûr de toi et après avoir mis ta cravate, acte rarissime en montagne, dirige-toi sans hésiter vers le réfectoire, dos droit, œil fier, sourire insondable, captant les signes les plus infimes du climat local pour détecter assez tôt l’hostilité éventuelle et agir en conséquence pour imposer ta domination. Ce moment est crucial dans ce refuge chargé de grimpeurs rêvant d’affirmer leur suprématie mais (et c’est leur talon d’Achille) craignant la hiérarchie : si ta valeur est celle d’un postulant au Woerth, ils changeront vite de ton, devenus déférents, obséquieux, te priant de financer leur prochaine expédition. Evidemment, dans ton cas, tout ça est surréaliste, nous savons que tu n’as pas le niveau et il y a de quoi se tordre de rire à t’imaginer défiant ces Sarkastiques, ils comprendront vite à qui ils ont affaire ! Désolé, c’est ta faute, personne t’a forcé à aller au Woerth.

Je fais comme si rien n’était perdu, je continue. Vérifie agenda et portefeuille, n’oublie pas la sacoche pour récupérer les fonds. Ni que le Woerth ne se fait pas seul ! Ton club t’attend au tournant, guettant des retombées palpables, notoriété et avantages matériels divers. Au conseil d’administration, il faudra rendre des comptes.

Quitte le refuge avant l’aube, l’avenir appartient aux gens qui se lèvent tôt, aborde la pente sous la Pointe Copé puis sous le Pic Woerth, flèches de granite splendides promises à un avenir que certains voudraient éternel.

Ne traîne pas, tu as rendez-vous avec un ami au pied du mur. Quelqu’un que tu ne connais pas vraiment. Pour ainsi dire pas du tout. Un type que tu croises de temps à autre. Avec qui tu bois un café parfois. Sur rendez-vous notés consciencieusement dans ton agenda. Que tu croises à des dates significatives. Inutile d’insister, il s’agit de ta vie privée, j’ajoute seulement que ce type avec qui tu n’as aucune relation est le patron de Florence (Florence est le nom utilisé par nos topos pour désigner une femme de grimpeur des Sarkasmes sinon j’aurais dit n’importe quoi d’autre, Carla, Nadine, Nathalie). Donc, le patron de Florence t’attend au-dessus de la rimaye où l’hélicoptère vient de le déposer, vaché au relais commun à la Voie des Auvergnats (sous la Brèche Hortefeux) et celle du Gendre Idéal.

Le jour se lève. Aube magnifique, violacée, n’oublie pas de souffler et vérifie que personne ne te regarde, les espions sont partout.

Arrivé sous la rimaye, examine son allure. Pas aussi élancée que la tienne, tu ne trouves pas ? Souris. Dans les longueurs délicates, il va en baver plus que toi. Au lieu de l’embrasser, décide en un geste spontané de lui coller la médaille des Sarkasmes, un signe distinctif prisé dans la vallée, cadeau qui soudera votre amitié, je veux dire la relation que tu as avec lui car… Appelons-le Patrice, prénom arbitraire utilisé dans nos topos pour ce genre de relations, j’aurais pu dire Johnny, Jacques comme Jacques Servier ou n’importe quoi. Je reprends. Je dis relation au lieu d’amitié non parce qu’il a embauché Florence (si tu préfères, prends le prénom de ta femme et si tu es une femme, inverse le système de référence du topo, on a étudié la question au Mont Ducouple auquel tu peux te reporter en page…, je ne vais pas gaspiller mon temps et le tien pour tout réexpliquer bien que parfois, c’est bon de répéter (cf. ci-dessus), donc, ce n’est pas à cause de ce lien familial que tu le vois régulièrement (sans le voir réellement comme j’ai dit) ni qu’il s’agit d’amitié. Sympathique Patrice. Tu aimerais l’inviter à l’hippodrome de Chantilly voir une course de chevaux avec Florence. On verra ça plus tard, mélange pas tout, ce n’est pas le moment, la voie du Gendre Idéal t’attend, il s’agit d’escalade pas d’équitation et ce ne sera pas facile, faut pas croire. Ce n’est pas parce que l’itinéraire est devenu célèbre en un temps record qu’il y a facilité. Non. Il faut une préparation rigoureuse, ne rien laisser au hasard sur le plan physique et mental. Une base logistique solide, une équipe de soutien sans faille dirigée d’une main de fer, une main qui donnera l’exemple. Il te faut faire preuve de ces qualités qu’apprécient tant tes beaux-parents. Car cette voie fera de toi (d’où son nom) un Gendre Idéal (si tu es un homme, sinon, tu seras une bru de rêve mais, as-tu remarqué, ça sonne moins bien. Normal, la zone est un peu machiste. Aux Sarkasmes, vois-tu, il faut des couilles et des dents qui raient les parquets. D’un autre côté, tu l’as peut-être noté, c’est pareil dans les autres vallées.

Je parle trop ? OK, j’admets. On attaque ? Allez, go, première longueur. Rassure-toi, je ne vais pas détailler tous les passages, tu te lasserais, tu abandonnerais et tu aurais raison. Un topo n’a pas pour fonction d’ennuyer, au contraire. Je vais donc faire vite mais avant de fuir cette zone infecte, je dois impérativement décrire sous peine de rupture de mon CDD les passages incontournables. Sache qu’on peut facilement éviter les douze premières longueurs par les itinéraires voisins (à droite, Voie des Auvergnats déjà citée, à gauche, fissure Bocquel) mais impossible d’échapper au crux de la dixième longueur. Je ne peux te cacher qu’il faudra forcer d’autres passages exposés, compromettants, obstacles que, main sur le cœur, tu nieras avoir parcouru parce que ta progression n’y aura pas été jolie jolie. Tu as du en entendre parler aux soirées du club, impossible autrement, il n’y a pas plus célèbre que le Pilier de l’Hippodrome ! Plus coté que la Rampe Minc à la Crête des Affidés dont on nous rabats les oreilles et même que le Dièdre des Civilisés au Petit Guéant qui fait fureur, on y voit autant de grimpeurs qu’au Couloir Lagarde des Droites ou qu’à la  Xavier Bertrand-Desmaison à l’Aiguille de la Vanoise. Le « Gendre Idéal » a été élu voie de l’année par Figaro-Vertical. Bien sûr, après les orages de l’été 2010 qui ont pourri la voie, des rumeurs la qualifiant de faisandée ont circulé au point que les guides envisagèrent son déséquipement intégral pour sauvegarder la réputation du massif. Quoiqu’il en soit de ces rumeurs, « ragots dignes d’un autre siècle » dixit les édiles locaux, nos topologues s’accordent sur un point : le Pilier de l’Hippodrome offre un condensé idéal des caractéristiques des Sarkasmes, surtout cette odeur d’égout que tes parfums n’arriveront jamais à masquer. Attention, je ne plaisante pas, pour qui n’est pas natif de la vallée, ces miasmes sont potentiellement mortels.

Voilà. Tu es prévenu. Reconnais que malgré mon aversion pour toi, je ne t’aurais rien caché des risques que tu cours à vouloir t’entêter.

Le crux. Tu vois, on y arrive, fallait pas t’impatienter. Il se trouve à mi-hauteur de la sinueuse cheminée Thibout sous forme d’une étroiture dite « de l’Enveloppe ». Après quelques mètres de ramonage pénible, tu traverses un vestibule angoissant où tu aperçois Patrice qui t’auras devancé, Dieu sait par quel sortilège, lui que tu sais incapable de surmonter une dalle en IV. Il fait comme s’il ne te connaissait pas puis, soudain, sans hésiter, te glisse dans la main une épaisse enveloppe en regardant ailleurs.

Ne t’arrête pas. Continue sur une demi-longueur sans te formaliser à la vue d’autres enveloppes dissimulées dans de petites boîtes aux lettres de part et d’autres de la cheminée. Relais. Tu es exténué, coupable mais ne baisse pas la tête. Dès que les accusations pleuvent sur toi, ne reconnais rien, ce serait la dernière chose à faire, n’oublie jamais que tu fais le « Gendre Idéal », brandis haut le drapeau de ton intégrité morale, défie quiconque critique ta façon de grimper, ne confirme rien, ni la courte échelle sur le dos de la comptable Thibout (que tu auras joyeusement piétinée avant de la confier aux coriaces guides-CRS), ni la corde installée au préalable par Patrice, un filin récupéré sur ce voilier luxueux qu’il a acquis avec dieu sait quel argent (Patrice s’en sort bien dans la vie, ne trouves-tu pas ?).

Si tu tiens le choc (ne rêve pas, petit lecteur, petite lectrice, tu es trop faible pour les Sarkasmes mais la déontologie topologique m’oblige à envisager ce cas de figure théorique où tu réussirais la course), supposons que tu survives à ce monde hostile, tu finis par la traversée Bonnefoy qui rejoint l’arête sommitale de l’Hippodrome. Erreur fatale ! Dans la Bonnefoy, le souffle d’un cheval au galop te fait perdre toute mesure, tu te lances dans des paris censés rapporter gros au lieu de te concentrer et rester sur tes gardes. Cette traversée Bonnefoy est pire que l’étroiture de l’enveloppe, passage dont tu t’es bien sorti pour un débutant. Non, tu ne débutes pas, je sais, mais reconnais que ton niveau te situe dans cette catégorie. Ne te formalise pas, je dis les choses comme elles sont et tu as eu l’occasion à maintes reprises de vérifier mon objectivité. Désolé, si je t’ai vexé (e) mais au moins, tu peux me faire confiance, ce n’est pas comme avec un Sarkastique. Donc, disais-je, la traversée Bonnefoy est ventée, ça pulse drôlement, on entend des grésillements, échos des pas de fantômes planqués dans les fissures. Ce que tu entends n’est pas ta propre voix, on dirait celle de Patrice, ça alors ! Comme ça t’intrigue, tu prêtes l’oreille, oubliant le passage vertigineux, les mousses glissantes et ce sera un miracle si tu ne chutes pas. Par pitié, ne regarde pas les voies à l’extrême droite du Roc de l’Identité et du Dôme National d’où les grimpeurs te jettent des regards inquiets, avertis de ta mauvaise posture. Difficile de savoir s’ils pètent de trouille parce que ta corde est attachée à la leur, une manie apprise au club de Chantilly, ou s’ils aimeraient te voir disparaître dans l’effondrement du Woerth avec enveloppes, hippodrome et ton copain Patrice. Ce n’est pas ton copain, OK.

Tu n’as pas l’air gai. C’est ta faute, je t’avais prévenu. Les Sarkasmes différent de nos massifs méridionaux, l’escalade y est tordue, les longueurs conçues dans l’unique but de te couler tandis que les grimpeurs locaux s’en échappent par des variantes secrètes ou l’usage de l’hélicoptère, ils font ça depuis toujours. Aller là-bas, c’est du suicide. Des amis ? Tu rigoles. Faire le Woerth pour devenir le Gendre Idéal une fois la voie réussie ? Mon pauvre, j’espère que tu as compris que pour ce sommet, il faut des cartes que tu ne possèdes pas. Que tu n’auras jamais.

J’ai oublié quelque chose ? Exact. Variante Marini. Tu es attentif, tu progresses. La variante Marini démarre dans la partie terminale au dix-septième relais, une plate-forme surplombant l’hippodrome. Vue excitante. On perd toute prudence et quand tu attaques le premier passage scabreux, au moment de tricher en tirant sur ton friend de grande taille, un Marini taille 4 au coût exorbitant, tu oublies d’essuyer tes chaussons aux semelles crottées (le cheval). Résultat, empreintes énormes sur le caillou, pas besoin d’être fin limier pour savoir où tu es passé. Comment réagiras-tu devant les preuves qu’on te mettra sous le nez quand tu raconteras l’histoire à ta façon ? Au début, le club  te soutiendra mais au fil du temps, quand ton histoire s’effritera, tout le monde prendra la tangente et tu ne pourras jamais les rattraper dans la descente. Puis, à la nuit tombée, tu te retrouveras à Bordeaux par Dieu sait quelle magie, au tribunal des mauvais grimpeurs. Je t’ai dit, des montagnes tordues.

Si tu veux d’autres détails, va à la bibliothèque chercher un autre topo, moi, j’en ai assez, j’ai la nausée. Les Sarkasmes, faudrait un tremblement de terre ou une centrale nucléaire qui explose dans la vallée, n’importe quoi pourvu qu’il ne reste rien. Une fois tout ça oublié, peut-être que je reprendrai l’envie de grimper et d’écrire des topos. Parce que là-bas, on ne croit plus en rien, tellement tout est truqué.



[1] La vallée des Sarkasmes a connu  autrefois différentes appellations: Diamants de Giscardie, Haute Chiraquie.



© Michael Mac Jenbon


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