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Textes Courts & Chroniques |
Hauteur de
vue, pensée alpine et courrier des lecteurs L’alpiniste
est réputé viser la
hauteur. On l’imagine surplombant le monde, y portant son regard
aiguisé au
travers d’un cristallin d’aviateur, tel un aigle ciblant deux
kilomètres en
dessous le museau de la marmotte. Action préludant au sacrifice griffu
de cette
capitaliste d’alpage à la petite semaine, bientôt héroïne du rituel de
massacre
millénaire, lequel, outre sa fonction symbolique évidente[1]
contribue à l’optimisation
de la gestion pastorale et doit, ne serait-ce que pour cette seule
raison, être
accueilli avec sérénité. Un tel agencement digne d’une horlogerie
naturelle de
Suisse Alémanique, a fait dire au penseur amoureux du mollet, et ceci
depuis
les premières transhumances, qu’il trouvait là-haut une source
irremplaçable
d’inspiration et d’amélioration. Affirmation immodeste qu’il nous faut
vérifier,
n’ayant pas l’habitude de gober sans examiner. Osons donc
notre question : notre
montagnard, taquinant le rongeur que la trajectoire programmée du
rapace
condamne, bénéficie-t-il, en dépit de son ignorance éthologique et
ornithologique, d’une supériorité de vue par la grâce du vent soufflant
sur la
crête ? La montagne sans préjugés l’a-t-elle libéré du fardeau des
oripeaux socioculturels tandis qu’il frotte sa nudité sous l’uniforme
d’une
polaire antiallergique, lui ouvrant les portes de la pensée pure ?
Doit-on
attendre de sa part une analyse neuve, confondante, revigorante ?
L’homme
de roche et de glace au visage sans bajoues (on croirait son cousin
d’une
chronique précédente[2]),
cet être viril rare
autrefois qui aujourd’hui pullule et s’accommode des deux sexes quand
il ne
revendique pas le mariage pour tous, lui dont la santé fait perdre au
cardiologue secteur 2 l’arrogance de son nœud papillon, a-t-il, notre
grimpeur
modèle, cette pertinence de vue, conception, pensée, par le simple fait
de sa
fréquentation des cimes ? Sa
familiarité des cieux élévateurs de l’âme, sa connaissance approfondie
des
tourments induits par la confrontation du rêve d’action (faire la
Walker de
Livet) à l’âpre résistance du réel (l’appel de l’hélicoptère sitôt
quitté le
spit), lui offrent-t-elles cette appréhension meilleure de l’essence du
monde
et de l’humanité ? Atteint-il par sa position, son effort, son
engagement,
l’objectivité critique qu’on attend du leader d’opinion médical ?
Mérite-t-il,
notre penseur stratosphérique, une place
égale à celle du conseiller de vie ou d’un quelconque psychiatre,
prédicateur
virtuose randonnant sur Radio-France ? A
l’Université du Haut Dauphiné,
nous abordons depuis toujours la question, sans a priori si ce n’est
sans
passion, dans nos publications officielles comme dans la chronique
Chellous
diffusée hors frontières. Hélas, nos analyses sur le sujet ont suscité
chez nos
athlétiques lecteurs un concert de râles exaspérés, allergies qu’il
nous faut traiter
en priorité par nécessité déontologique, délaissant notre interrogation
liminaire. Pour
rendre l’échange productif,
je vous demande, cher lecteurs, la plus grande concentration. Durant
quelques
instants, il vous faudra déserter salle de blocs et piste de ski de
fond. Quand
aux amateurs de faces mixtes, qu’ils restent où ils sont, nous n’avons
que
faire de leurs claquements de dents. Je plaisante. En revanche, c’est
avec le
plus grand sérieux que j’invite les philosophes professionnels à
quitter cette
page pour s’orienter sans attendre sur les ouvrages de l’éditeur
invitant[3],
évitant ainsi une perte
de temps conséquente (et que nul ne voie là un retour d’ascenseur
tactique, pratique
verticale méprisable que nous ignorons, nous qui, ascensionnant jour
après jour
nos onze étages, soufflons avec bonheur dans l’escalier qui nous sert
de
moraine, non sans bousculer le raciste du premier verrouillant la
serrure trois
points de son bunker). Chers
lecteurs, nous avons du
trier vos envois, choisir les plus symptomatiques, délaissant les
orduriers, ineptes
ou flatteurs, usant du seul critère de pertinence. Stratégie redoutable
qui
nous a épargné, pardonnez ma sincérité, l’écrasante majorité de vos
réflexions.
Les messages rescapés glissés dans un antique sac Karrimor se sont,
pour la
plupart, collés aussitôt aux résidus de pâte d’amande qui colmataient
le fond.
Vider ce récipient a conclu l’opération sélective en libérant les deux
seules
admonestations que voici : Gérard,
des Boussardes (Hautes Alpes), nous écrit à propos de
« Campto-camping », usant d’un papier glacé récupéré dans un
couloir
nord-ouest bien connu. Message d’une grande franchise : « Je
vous
emmerde ! », nous dit-il, « Après m’avoir encensé et
obtenu de
moi l’exclusivité pour ma biographie (contrat très avantageux pour
vous, soit
dit entre nous), vous m’avez jeté aux chocards et hermines de refuge.
M’accusant
d’avoir déclenché la guerre des grimpeurs, vous taisez ma liste de
courses et
faîtes de moi le chef d’un escadron alpin fascisant (Les piolets
noirs),
durcissant la cotation en vue d’une sélection impitoyable, faisant
imploser les
normes, obligeant les éditeurs à réactualiser la quasi-totalité des
topos. Je
vous rappelle mes titres : Meilleur Grimpeur d’Oisans 2011, puis
Piolet Noir
du Dauphiné 2012, succès à l’origine d’une cabale de jaloux
infiltrés dans
le jury, archaïques ventripotents voulant réhabiliter l’alpinisme de
grand-papa.
Il aurait été plus honnête de rappeler la liste inégalée de mes
exploits,
toutes disciplines alpines confondues, liste qui, et je le dis en toute
modestie, me confère une stature transalpine qu’il convient de
respecter. Liste
à l’origine non d’une légende comme l’affirment mes détracteurs mais
d’un récit
authentique que vous avez publié ! J’exige un droit de réponse. Si
vous le
refusiez, vous ne recevrez plus mes topos, qui, je vous le rappelle,
assurent
la pérennité économique de votre moribonde et déloyale
institution. » Noëlle,
de Pelvoux (Hautes Alpes), conteste « après une longue
réflexion » la première chronique, « Numéro zéro ».
« (…) Ce
texte aspirait ma pensée comme l’eut fait une marmite de glacier (…).
Il m’a
fallu ce temps pour retrouver calme et confiance, comme avant le crux
dont,
yeux fermés, on répète chaque pas (…) méditation indispensable pour
réussir ou
survivre (…) injustice de l’erreur historique (…) mesurer ses paroles
(…) refroidir
la lave de rage pour écouler, sérac après sérac, les arguments
refroidis de
l’implacable vérité (…) Chellous (…) terribles accusations. (…)
falsification faussement
respectueuse, instrumentalisation de ma souffrance (…) m’attribue sans
preuve une
motivation meurtrière (…) rupture ne date pas de cet épisode violent (…) domaine privé ne regarde en rien le lecteur
(…)
démagogique, subjectif (…) tâche
dérisoire, superficielle, activité vieillissante (...) je vous prie
instamment
de publier mon propos (…) sans aucune omission ni (…) » Temps et
espace manquent. Nos
lecteurs comprendrons que, partis de l’excitante question de la
spécifique qualité
d’une vision alpine supposée prédisposer à la clarté philosophique et
scientifique, nous avons du sacrifier brutalement notre thème initial
pour
faire place au courrier des lecteurs sans pour autant leur répondre ni
les
satisfaire. Ainsi, restant sur leur faim, comme randonneur dépité,
teint gris
et affalé au bord du Lac de la Muzelle, sa fouille hystérique et vaine
du
Lafuma n’ayant révélé nulle trace de bouffe, ils applaudiront à notre
conclusion ci-dessous : « Un
sac vide est une
épreuve de philosophie pratique qui permet de déguster cet aphorisme
incontournable :
la satisfaction absolue déprime absolument. »[4]
Alain
Chellous
[1] Notre étudiant-lecteur n’a rien de
l’hypothyroïdien
auquel échappe la signification anthropo-zoologique du meurtre
aquilaire dont
le rituel immuable se décline en trois phases : (1) choix de la
victime expiatoire
(poilue et infirme de préférence), (2) chute libre initiatique du héros
à
plume, lequel, évite in extremis l’écrasement pour raser l’alpage à
cinq mètres
du sol, (3) crevaison de la peluche ahurie sous les hurlements du public. [2] Notre histoire de l’Ultratrail en
Oisans (en trois
parties). [3]
Vous savez très bien de qui il s’agit. Editions. Chamonix. Livres
rouges. [4]
Aphorismes Alpin, Estelle Triche-Divan, Editions du Démon, 2013 Retour aux Chroniques |
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