J’ai froid, j’ai faim, j’ai soif
J’ai froid, j’ai faim, j’ai soif, un trou dans l’estomac et la langue en carton, Des mouches dans les yeux, les mollets en flanelle, J’suis à bout, j’suis séché, Gérard, par pitié, dis moi qu’on va s’arrêter, qu’on va souffler, qu’on est arrivé, que l’brouillard va se lever ! Tu vois donc pas que j’suis en train d’crever ? !
J’ai toujours fait silence mais là, je peux plus m’taire, j’ai envie de gueuler mais j’en ai pas la force, j’sais pas c’que je fous ici et puis, y a autre chose, un truc qui m’travaille, un doute, une question, impossible de mentir J’peux pas l’enlever d’ma tête, c’est pas facile à dire, Avec toi, Gérard, j’ai toujours eu confiance totale, quand t’enchaînais les longueurs, j’dégoulinais de bonheur, t’étais mon étoile du Berger, mon guide, mon héros, Quand les copains racontaient leurs expés, j’hésitais sérieux avant d’les imiter, Mais quand c’était toi qui proposait, j’craquais sans réfléchir et j’te suivais, Tu étais mon assurance-vie, mon amulette, mon gri-gri. Mais là, j’sais pas si c’est le froid, la faim, la soif mais j’perd mes certitudes, j’pense à des trucs, ça fait mal, j’me souviens qu’en t’accompagnant, j’avais beau prendre du Zopiclone, j’avais toujours de l’insomnie et j’me réveillais à minuit en gueulant : « Au s’cours, Maman ! » Puis, en te voyant debout à trois heures du matin, ton regard d’aigle et tes gestes de félins, j’oubliais tout, j’me disais : « ça va gazer, j’ai d’la chance d’être avec lui, j’vais tout donner, j’le suivrai jusqu’au sommet ! »
Mais avec ces crampes d’estomac, mon cerveau épuisé qui donne des ordres à des jambes de bois, mes mains qui s’ouvrent toutes seules, et l’envie de tout lâcher, tout oublier, j’peux pas m’empêcher d’penser, Gérard, J’aurais jamais imaginé que je regretterai un jour d’être avec toi, que et que j’aurais à t’faire le moindre reproche, Mais avec ce froid qui mord les os, Autant que j’te dise, Gérard, puisqu’on n’a plus d’secret, j’ai beau zigzaguer comme un aveugle, un sourd, un dément, j’ai des souvenirs, une lumière qui brûle ma rétine et j’réalise que tes torrents d’boue, ta moraine infinie, ce putain d’éboulis où tu nous a mis, c’est pas une erreur, pas un hasard, Dans cette nuit pourrie, j’y vois clair et j’ai une question à poser : Est-ce que des fois, tu t’serais pas foutu d’ma gueule, t’aurais pas manigancé pour que j’ai l’onglée, que j’sois mouillé ! Parce que mon pote, j’suis p’t-être aveugle, mais j’ai aperçu ton p’tit sourire et c’est pas la première fois, déjà quand j’patinais, quand j’dérapais, Gérard, j’suis en train de perdre ma naïveté ! Plus j’réfléchis, plus je comprends qu’ça fait longtemps qu’ça dure, tu m’as embrouillé pour m’en faire baver, si tu m’as emmené, c’était uniquement pour rester le premier, combien de fois, tu m’as découragé en faisant semblant d’m’aider ? C’est dingue comme j’y vois bien, c’est limpide et lumineux, tu m’as mis en galère pour m’humilier, me voir pleurer comme un bébé, parce que ton rêve le plus cher, Gérard, mon meilleur compagnon de cordée, c’est m’foutre la honte pour l’éternité.
J’ai froid, j’ai faim, j’ai soif , vive la cordée, la solidarité, l’amitié, la loyauté et la fidélité, Gérard, c’est vrai qu’on en a sacrément profité, surtout toi, Gérard. Surtout toi.
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