Ce thème délicat, indécent, humiliant, n'avait pu être abordé auparavant. Il nous a fallu des années d'approche prudente, subtile, rusée, pour entrer dans la chaude et inquiétante intimité du montagnard. Sa pudeur renommée et sa crainte, hélas fondée, de se voir moqué, dénoncé, ironisé, sarcasmé, ricané par les néo-ruraux ou archéo-citadins, l'aurait fait fuir tout anthropologue mal déguisé, brutal, intrusif, comme le sont la plupart de nos collègues. C'est grâce à nos formations poussées à la rouerie, l'art du masque et les techniques d'infiltration politiques, que nous avons pu pénêtrer ces domaines secrets, excitants, palpitants, sans nous faire prendre, ce qui eût entraîné des conséquences funestes sur l'intégrité psycho-physique de nos étudiants en Hygiène Alpine.

Le résultat est stupéfiant: ni cave humide puante ni étable phosphorescente saturée en bactéries putréfiantes, aucune efflorescence fluorescente, pas d'odeur de crottin, bouse, fromage ou autre jus de chaussette traditionnelle. Non, un étalage de lumière, de pureté, un déodorant de lessive aseptique, savon à tous les étages, un hôtel de province modeste et impeccable, où le personnel s'ennuyant répète obsessionnellement des gestes inutiles de nettoyage à toute heure.

Faut-il s'en réjouir ou s'en désespérer? Difficile de conclure. Nos étudiants s'en trouvent dépités, la note passable menace, aucune interprétation jouissive prometteuse. Sauf à lier cet excès, ce délire de pureté aux actions intensives régionales actuelles qui font du Haut Dauphiné le laboratoire des apprentis-fachos chassant le vote du chasseur sachant chasser sans chaussettes sèches. Quoi qu'il en soit, nous continueront avec la même objectivité et rigueur scientifique: tel est notre ultime projet, notre éthique, notre honneur.